"Au nom de Dieu, le clément, le miséricordieux et que la paix et le salut soient sur son noble envoyé,
Mesdames, messieurs,
Le Royaume du Maroc est heureux de vous accueillir dans l'une de ses grandes capitales historiques, la ville de Marrakech qui rassemble sur son sol hospitalier un patrimoine abondant et une riche histoire, rappelant, en chacune de ses ruelles, la position éminente que cette cité a occupée parmi les plus anciennes et les plus grandes villes du monde.
C'est aussi une heureuse occasion qui nous permet, au moment où commence notre règne, de partager avec vous vos aspirations et vos préoccupations quant à l'héritage civilisationnel accumulé par l'humanité en tant qu'expression de son génie, de ses valeurs et de son aptitude à mériter la grâce du seigneur qui a fait de l'homme le meilleur et le plus noble des créatures.
Il y a vingt-sept ans, la conférence générale de l'Unesco adoptait en 1972 la convention du patrimoine universel grâce à laquelle un grand progrès a été réalisé dans l'instauration de nouveaux rapports avec le patrimoine culturel et naturel. C'est ainsi que les parties contractantes le traitent désormais sous l'angle d'un même concept, à savoir que la conservation du patrimoine local et national et sa préservation ne sont, en définitive, que la préservation d'un patrimoine humain autour duquel, dans leur reconnaissance mutuelle, se rencontrent tous les hommes.
Ce sentiment international, cet intérêt croissant et ce soin apporté à l'inscription des sites naturels et archéologiques, ainsi que des villes et des édifices historiques rares sur le registre du patrimoine universel, sont autant de gages d'un avenir florissant pour pérenniser la civilisation humaine dans la diversité de ses manifestations. Les futures générations auront ainsi l'opportunité de puiser dans leurs propres capacités de quoi entrer en interaction avec le legs laissé par les générations précédentes dans tous les secteurs de la vie, en s'appuyant notamment sur les nouveaux acquis technologiques et scientifiques.
Cette rencontre, qui sera la dernière du genre de ce siècle, ne manquera pas d'évoquer les conditions nouvelles qui président à la communication entre les hommes dans le cadre de la révolution des technologies de l'information, révolution qui fait du patrimoine de notre planète un bien partagé que nous pouvons découvrir, approcher, déceler les facteurs qui contribuent à son progrès et dépister les dangers qui le menacent. A partir de cette nouvelle connaissance de l'autre, le patrimoine prend une dimension encore plus grande en permettant de comprendre la toile de fond culturelle et historique de l'humanité dans son ensemble et, corrélativement, de mieux défendre les valeurs de la coexistence et de la tolérance.
Par cette connaissance aussi, nous nous trouvons devant de nouvelles et lourdes responsabilités, dès lors que nous sommes désormais tous responsables de protéger ce patrimoine dans toutes ses formes d'expression et de le protéger au bénéfice des générations futures. Nous ne pouvons plus prétendre que nous ignorons l'étendue de la diversité civilisationnelle disséminée de par le monde ou méconnaître les dangers qui la menacent de par les guerres, la pauvreté et l'analphabétisme.
Partant de la conscience que l'on a de cette lourde responsabilité, il devient impérieux de coordonner les efforts au niveau international pour sauver notre patrimoine civilisationnel, quel que soit le lieu où il se trouve. Il est évident que ce qui est perdu par un peuple, l'est aussi pour l'humanité tout entière. Tout comme il est certain que l'incapacité d'un grand nombre de pays du sud à protéger leur patrimoine national fera perdre à l'humanité de précieux trésors de son histoire et un aspect fondamental de sa diversité.
Dans ce contexte, il convient de rendre un hommage mérité à l'organisation de l'Unesco pour les efforts qu'elle déploie, tant au niveau de la sensibilisation de l'opinion publique mondiale à la gravité de cette situation, qu'en ce qui concerne les services nombreux qu'elle fournit au profit de projets essentiels dans le domaine de la protection du patrimoine.
Nous devons cependant insister une nouvelle fois sur la nécessité d'adopter une vision dynamique quant à cette protection, en visant à intégrer notre patrimoine dans nos projets de développement et non seulement à l'embaumer dans une vision de sacralisation du passé. Ceci requiert de jeter des passerelles solides entre ce legs civilisationnel et les créations de l'homme contemporain, car le patrimoine de demain est ce que nous inventons aujourd'hui. Il est donc impérieux de faire du patrimoine un espace partagé de dialogue entre les civilisations, les générations et les époques.
Mesdames, messieurs,
Il ne vous échappe pas, vous qui êtes l'élite des spécialistes, des experts et des chercheurs, premiers responsables techniques en charge de la gestion des affaires du patrimoine dans vos pays, que l'authenticité des nations et leur enracinement procèdent de la présence qu'avaient leurs ancêtres sur la scène de l'histoire, de ce qu'ils ont laissé comme monuments et comme création intellectuelles, comme inventions scientifiques et réalisations civilisationnelles. Et s'il ne fait pas de doute pour nous que tous les hommes, quel que soit le lieu où ils se trouvent, ont tous contribué d'une manière ou d'une autre à asseoir l'édifice de cette civilisation humaine et à consolider ses bases, il ne fait pas non plus de doute à notre sens, que la maturité des peuples se mesurent à l'aune du sentiment et de la sensibilité qu'ils ont envers leur patrimoine et de
l'intérêt qu'ils portent à le protéger, à le conserver et à le rénover.
Conscient de cet aspect, le Maroc a tenu, depuis son indépendance, à mettre en œuvre une politique active de préservation des antiquités, non pas en suivant l'exemple des pays qui l'ont précédé dans ce domaine et qui ont fait appel à des spécialistes et à des techniciens étrangers, mais en ayant soin, chaque fois que des talents apparaissaient, de confier la conservation de son patrimoine à ceux de ses enfants qui ont acquis expertise et connaissance, de sorte à assurer l'initiation au métier sur les chantiers mêmes et à développer les dons des apprenants.
Telle a été la première initiative de notre auguste père, feu Sa Majesté le Roi Hassan II, que Dieu bénisse sa mémoire, lorsqu'il avait décidé de restaurer le palais Royal de Fès laissé à l'abandon et à la dégradation durant la période coloniale. Il avait réuni les artisans et les gens de métier qui étaient disponibles à l'époque et a mis à leur disposition et sous leur direction deux mille jeunes pour qu'ils apprennent et s'exercent à l'art de la construction et de l'ornementation traditionnelles.
Ainsi, le Maroc n'a pas seulement sauvé un monument qui fait partie de son histoire, mais qualifié également un groupe important de jeunes artisans.
C'est ce groupe qui a eu le privilège de participer à la réalisation des deux monuments prestigieux que sont le Mausolée de notre grand-père, feu Sa Majesté le Roi Mohammed V et la mosquée Hassan II, lesquels réunissent en leur édifice la variété des styles de construction et de décoration traditionnelles éparpillés à travers d'autres monuments.
Par ailleurs, le Maroc n'a jamais renoncé aux techniques nouvelles et aux méthodes scientifiques qui lui faisaient défaut et qui sont de nos jours incontournables quand il s'agit d'étudier ou de restaurer le patrimoine. Tout comme il n'a pas négligé de développer la coopération mutuellement avantageuse avec les pays frères ou amis. C'est ainsi que notre pays a agi pour assurer la formation et la qualification de ses cadres dans diverses filières de la connaissance liées à ce domaine, qu'il s'agisse de l'archéologie, de l'anthropologie, de l'ethnologie, des fouilles, de l'histoire de l'art, ou qu'il s'agisse de la physique et de la chimie appliquées au patrimoine. C'est ce qui lui permet aujourd'hui, Dieu merci, de disposer de suffisamment de cadres pour satisfaire aux exigences des fouilles et de la recherche ou encore à celles du traitement, de la préservation et de la restauration .
Chaque fois que le besoin s'en faisait sentir, le Maroc ne tardait pas à faire appel aux éminentes expériences techniques disponibles chez les autres pays, comme il n'a pas hésité à répondre favorablement aux demandes d'assistance et de coopération qui lui parviennent de pays frères et amis. A l'instar des experts et techniciens étrangers qui ont travaillé aux côtés de nos experts et techniciens, des groupes parmi nos meilleurs cadres et les plus talentueux de nos artisans contribuent à la sauvegarde de sites archéologiques dans des pays frères et amis avec autant d'enthousiasme et de dévouement que lorsqu'ils exercent dans leur propre patrie.
Mesdames, messieurs,
Nous relevons avec bonheur l'intérêt sans cesse croissant que vous accordez au domaine du patrimoine naturel et à celui du patrimoine oral, sachant que par le passé, votre attention se portait tout particulièrement sur les aspects urbanistique, architectural et archéologique. En empruntant cette voie, vous permettez à votre honorable commission de rétablir un équilibre devenu nécessaire, car l'être humain vit dans un environnement avec lequel il est en interaction permanente et dans des sociétés qui ne peuvent se départir de ce qu'elles ont accumulé comme traditions. Cela veut dire que la présence du facteur influence, active et passive, était très forte à travers les âges et qu'il ne faut pas que l'on soit amené, en ce début du nouveau siècle, à occulter cette constante de notre vie humaine.
Le patrimoine naturel, en plus du fait qu'il constitue l'une des sources de compréhension de l'histoire géologique et environnementale du globe terrestre, est l'unique laboratoire pour d'innombrables sciences de la nature. Il est également considéré comme un élément d'équilibre entre l'homme et son environnement et l'un des facteurs de préservation de la diversité des genres et des espèces vivantes qui constituent la biodiversité qui, si elle vient à régresser ou à être substantiellement entamée, rompra cet équilibre et risque de compromettre les chances de préservation de la vie humaine sur la planète terre.
Quant au patrimoine oral, vous n'êtes pas sans en connaître le poids et la grande présence dans certains pays et même dans des continents tout entiers, comme c'est le cas de notre continent africain où le patrimoine oral a toujours constitué une base d'instruction et de formation et une source d'orientation et d'encadrement. Ainsi, de nombreuses sociétés ont eu à élever l'édifice de leur civilisation en se fondant sur ce que les générations sont transmis par la force du mot, l'effet du sermon, de la bonne conduite, de la sagesse des biographies, des contes et des proverbes, contribuant de la sorte à l'enrichissement de la civilisation humaine, un enrichissement qui ne doit pas être mésestimé, d'où la nécessité d'attribuer à ce patrimoine et à ses symboles un intérêt particulier dans la mesure où il est menacé, plus qu'autre chose, de disparition et parce qu'il constitue une richesse irremplaçable.
L'initiative de l'Unesco qui a porté la place Jamaa Al Fana; à Marrakech, sur la liste du patrimoine de l'humanité - une première du genre - , en plus du fait qu'elle honore le Maroc, est considérée comme une mesure louable et courageuse qui ouvre grandement la porte à ce genre de patrimoine et qui ne manquera pas d'avoir, si Dieu le veut, un impact important et une large influence. Elle sera, sans aucun doute, suivie d'autres inscriptions à même de garantir l'intensification des efforts de la communauté internationale visant à sauvegarder cette catégorie importante du patrimoine.
Mesdames, messieurs,
Il nous reste à signaler que les efforts que vous déployez pour faire de la liste du patrimoine universel un registre équilibré tant au niveau de la représentation des états et des régions qu'à celui de l'inscription, sans discrimination, des sites aussi bien culturels que naturels, constituent une initiative méritoire et un objectif digne dont on devrait saisir la portée et deviner les effets. Les années à venir connaîtront, sans aucun doute, d'importants développements à ce niveau grâce à la consolidation des relations, à l'ancrage de la prise de conscience et à la sincérité des pensées.
Mesdames, messieurs,
Nous sommes heureux de la présence à l'ouverture des travaux de votre présente session de M. Koichiro Matsuura, directeur général de l'Unesco, qui était durant toute cette année qui s'achève, le président de votre commission, faisant preuve, tout au long de son mandat, d'un large savoir, d'un haut degré de compétence et d'une grande connaissance des questions relevant du domaine du patrimoine universel, ce qui lui a permis de gérer cette commission avec une grande assurance et intelligence, en plus de la compétence diplomatique qu'il a accumulée du fait de sa formation et de sa longue expérience dans ce domaine, ce qui a contribué, sans aucun doute, à faciliter sa mission.
En lui adressant nos salutations et en lui réitérant nos félicitations pour la confiance placée en lui par les pays membres qui ont voté en sa faveur pour qu'il s'occupe des affaires de l'Unesco, nous sommes convaincu qu'il sera le digne successeur de son digne prédécesseur et que, sous sa direction, notre organisation fera des pas sûrs vers l'avant, comptant en cela sur notre compréhension à tous et notre soutien.
Nous vous souhaitons, encore une fois, la bienvenue au Maroc et parmi les habitants de Marrakech auxquels nous adressons de cette tribune une salutation toute particulière. Nous bénissons les travaux de votre commission qui seront, nous n'en doutons pas, fructueux et utiles. Que Dieu vous aide.
Que la paix et la miséricorde de Dieu soient sur vous''.